02/08/2012

Souvenirs et enterrements


29.10.2010


L'enterrement

A part la paupière gauche ce visage gris aux lèvres cousues ne ressemble plus à personne. 

Deux voisins puis trois enfants bavardent à côté du mort exhibé dans le garage. 
Une fille caresse la main bleutée et sèche.

L'odeur indéfinissable et écœurante flotte dans toute la maison dès l'entrée.


Assises à la longue table du premier étage de la salle des fêtes qui ressemble à un réfectoire. 
Les vieilles du village mâchent leur dentier. Bâfrent les tartes et les sandwichs.


Dehors il fait superbe.


Après l'office la famille tout en noir a suivi le corbillard jusqu'au cimetière.

Le bedeau a retiré la terre et creusé le caveau. 

Le cercueil descend sur celui de l'épouse enterrée depuis trente ans.

Les plus petits jettent des poignées de terre sur le "cerfeuil" du bon papa.

Au cimetière

Belle journée pour rassembler des amis sur sa tombe.

Dommage que le cercueil soit fermé: il aurait pu voir ce ciel si bleu.

Depuis des jours il fait gris souris le monde perd sa substance et ses contours. 

Et aujourd'hui justement la vie resplendit et au jardin la plante hallucinogène pistille.

La maison du père mort

La porte s'ouvre et ça pue. Le vieux la poussière la morgue. 
L'ancien gras de bouffe. L'aspirateur sans filtre. 

Les tentures en velours. Le relent lointain d'un cigare. 

Le tapis en peluche dans les toilettes. 
La salle de bain sans fenêtre. 

La série de fauteuils "en coin" depuis 1970. 

Le moisi des matelas. 
Les nappes tachées enfermées dans les armoires.

Les draps en nylon et en coton et en flanelle et en percale et en dralon.

Les couvertures sole mio bourrées d'anti mite entassées dans un coffre.

Héritage

Deux télés énormes comme des tanks. Une plus énorme que l'autre. 
Un lecteur DVD. Deux stylos à encre. 
Un crochet pour repriser les tapis.

Un ordi clavier souris imprimante. 
Trois bougeoirs dorés genre baroque. Un aspirateur rouge. 
Une calculette Texas Instruments. Un DVD. 

Trois Siclair: nettoyant pour lunettes. 
Six lattes "Tricidine" en plastique. 

Quatre paires de lunettes solaire des années soixante.

Un milieu de table en marbre gris qui tourne. 
Une loupe. 
Un casque écouteur sans fil. Deux crayons. 
Un caméscope JVC sans batterie. 

Des photos de bébés de vacanciers à la pèche d'inconnus à l'université. 

Un tableau affreux qui cachait un chromo de vierge à l'enfant: horrible.


Vide maison

19 novembre. 
Sombre et triste la maison engloutie dans les brouillards. 
Insomnie la chambre glacée humide pue.

Les coqs les poules les vaches la voiture du voisin qui part au travail le tracteur le bus scolaire: le jour se lève.

La famille s'agite vide les armoires remplit des cartons. 
Regarde des photos lit des lettres. Empile des souvenirs.

Le forestier vendra le bois. 
Le brocanteur emportera l'armoire la voisine le meuble à tiroirs.

Partage

Comme dans "Milou en mai" il faudra vider les meubles.

Choisir de jeter aux ordures des années d'assiettes ébréchées du diner à 18h30.
Vendre le dressoir campagnard acheté cher et qui ne vaut plus rien.
Se partager une montagne de petits riens qu'on liquidera aux encombrants plus tard.
Ouvrir le coffre à trésor des lettres "à bruler sans ouvrir" que curieuses on entrouvrira.
Découvrir une montagne de photos de souvenirs et se rappeler une autre vie. Pleurer un peu. rire aussi.
Pardonner beaucoup.
Vendre la maison. 
Oublier...

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Photos

Un carton de photos noir et blanc de cinq centimètres sur sept crantées sur les bords. 

A la loupe on découvre une fille assise dans en canoë accompagnée d'un jeune homme en maillot de laine à bretelles.
La même fille en chapeau de paille noir immense un short foncé serré à la taille et un soutien gorge de bikini clair. 

Devant un énorme yucca. Devant une jetée et quatorze barques. Dans un champ.
Elle porte une cape marche dans la neige.
Une robe au printemps une jupe avec des chaussettes blanches un maillot sur une plage. 

Debout avec des filles ou en groupe avec le garçon du canoë et d'autres en costume de sport ou de ville.
Des étudiants des militaires.

Elle se marie avec le garçon du canoë.
Ils posent pour la photo de photographe. Costume cravate chapeau boule pour lui et robe dingue longue et blanche pour elle.
Il a le sourire doux les yeux gentils et naïfs.
Elle sourit bouche fermée.

Les mariés ont grossi.
Elle est posée sereine et alanguie dans une bergère: chemisier blanc jupe en tweed à carreaux ceinture noire large à grosse bouche de cuir. Les yeux en trou de mite sans fard les cheveux foncés longs bouclés haut sur le dessus du front. 

Il se penche au dessus d'elle vers l'objectif. Le regard psychopathe. La main sur l'accoudoir coince un bout du chemisier blanc.

Un paquet de photos de petites filles. 
Une sans cheveux puis deux sur une luge trois dans le jardin quatre à la mer. En robe blanche les mains jointes. 
A vélo avec des amies. En maillot dans la mer. 
Un peu moches et grosses ronchonneuses peu souriantes.

le frigo rond le meuble en coin le vaisseliers et ses assiettes fleuries. Le jardin presque nu.
Un ou deux mariages d'inconnus.


Un sapin très vert des boules de couleurs avec des motifs s'accrochent aux branches.
Des oiseaux en verre peint une étoile magique au faîte.

Des cadeaux débordent d'un panier.
une petite fille au visage tiré et de grands yeux perdus regarde anxieuse le photographe. 
Une autre plus ronde farfouille au pied de l'arbre. 
Une dame aux cheveux épais bouclés noirs montre un objet à l'objectif elle rit de toutes ses dents découvre ses gencives.

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Les écrevisses

Mince gaffe aux vaches.
Ces folles curieuses galopent du haut du champ.
Trop jeunes trop folles complètement hystériques elles sautent en l'air des quatre sabots.
Les filles se sauvent et s'arrachent les culottes aux fils barbelés. Ouf.
Après elles tuent le temps. Inventent des jeux. 
Pèlent des tiges de jonc et isolent sans les casser les plus longues pulpes blanches.
Cinq écrevisses avancent à reculons grimpent sur le plateau grignotent le vieux foie qui pue.
Doucement sans reflet sur l'eau avancer le bois fendu coincer la corde relever hop.
Arracher le nageoire du milieu de la queue jeter dans l'eau bouillante retirer l'eau quand elles sont rouges ajouter des tomates et des herbes.

La mouche

Planté au milieu de l'eau entre les herbes aquatiques déguisées en chevelure verte.
L'homme a des bottes de sept lieues qui lui montent au nombril. 
Il lance ramène lâche du fil sous la canne. 
Reprend la soie d'un va et vient souple du poignet. 
Relance reprend.

La mouche touche à peine l'eau s'envole effleure la surface une seconde se laisse aspirer par le ciel ou l'eau. 
Butine ici et là.
Gloup le poisson l'avale. 
Piégée la truite bluffée elle se tortille lance des coups de dos de nageoire bloup bloup elle se noie aspire de l'air.
Au secours. 

Le pècheur enlève délicatement l'hameçon.
Au beurre et aux amandes avec des pommes vapeur.

En luge jusqu'à la rivière

La rue d'enfer en pente a 40 degrés enneigée gelée. 

Les luges démarrent le long de la maison et foncent a toute vitesse jusqu'en bas. 
Freinage forcé au niveau de la vieille madame M. qui chauffe son unique pièce au poële à charbon et répand les cendres sur la glace pour ne pas se casser une jambe en traversant: ses toilettes sont de l'autre côté de la rue 
(tous les gamins la haïssent les jours de neige). 

La rue d'en bas puis un virage à angle droit dans la chaussée d'Arlon. Gaffe aux voitures. Les plus balaises arrivent à la rivière.
Une variante pour les nains: la petite rue des jardins qui tape sur la rue des oies. A gauche toute pour rejoindre la rue d'en bas.

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Le jardin

Au bout de la cuisine une courette mène au jardin. 

Un bric à brac de coupes haies de sécateurs de tondeuse de seaux de brosses s'emberlificotent dans le passage.

Deux volées d'escaliers. Un sentier en couloir passe entre les potagers de madame F. de l'épicier R. et du boucher G.
 
Une plantation de sapins une pelouse des poteaux des fils à linge. 
Quelques marches descendent sur une terrasse couverte à moitié par une clématite: dessous une table et des chaises en fonte peinte en blanc.

De l'autre côté un long banc de bois appuyé contre le mur. 

Un groseillier dans un pot explose de groseilles chaque été. 
Encore un escalier fort raide au milieu d'une rocaille. 
En bas un étang avec des nénufars et des poissons rouges. 

Un saule pleureur de 100ans une balançoire accrochée à la plus grosse branche. 
Une méga pelouse cernée de parterres blindés de fleur. 
Impénétrable: des arbres des murs des sapins des barbelés bornent complètement le terrain.


La maison

Premier étage
Le grand escalier en chêne ciré. 
Le miroir de trois mètres sur trois au premier palier. 
Au deuxième palier a droite contre le mur: la lingère trois portes. 
A gauche la chambre de C. 
Des planchers partout excepté du balatum sur le sol du couloir étroit qui mène à la salle de bain.

La chambre des P. puis de C. 
Celle des "étrangers" qui plus tard sera celle de B.M. 
Et en face les appartements de D. 

Entre les deux une porte fenêtre qui ouvre sur un balcon et la grand rue. 

Dans le sens du retour un placard à balais: dedans un fusil de chasse, une carabine à plombs l'aspirateur et des torchons.                                                              Un angle droit et retour sur le deuxième palier.

Deuxième étage
Une volée d'escaliers pour le deuxième étage avec une verrière au dessus. 
Le palier rectangulaire comme un patio. 
Au milieu la table de ping pong. 
Huit portes. 
A gauche: la chambre de A. meublée "moderne".
La remise à géraniums glaciale l'hiver torride l'été. 
L'atelier à bois qui partira dans la cave à l'arrivée de la scie circulaire. 
La salle de jeu.
La future chambre de C. fait un angle: une fenêtre rue Burnotte une autre rue d'Enfer. 
La pièce des servantes deviendra la chambre aux malles. 
Le train électrique.                                                                                            La porte qui va au grenier et la salle de bain qui pue toujours l'urine.

Le grenier
Un souffle glacé s'insinue sous les ardoises. Il fait polaire dans le gigantesque grenier.
Derrière la verrière du dessus de l'escalier une montagne de jouets à jeter ou dépareillés ou inadaptés.
Plus loin sous le vasistas des cartons remplis de factures classées dans des dossiers spiralés.
Des vêtements démodés décolorés bouffés aux mites débordent de malles en osier.
La petite a bricolé un abri derrière un rouleau de balatum une lunette de wc un évier cassé et ses robinets.
Elle se gèle et s'ennuie dans sa cabane fermée par des caisses et des bouts de rien:
rideaux déteins draps usés jusqu'à la corde torchons troués.
Elle rassemble des brindilles des chiffons et du papier dans une boite à biscuits en métal blanc.
Craque une allumette et tend les mains vers la flamme.

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01.11.2010
Jour des morts

A.A.

Morte enterrée depuis sept mois trois jours dix heures et quelques minutes
la dame amie des chats des esprits des tables tournantes des pendules du verre à dent qui glisse d'une lettre à l'autre et forme le mot amour.
Des images découpées collées surréalistes.
Des danseurs aux muscles longs des pièces de théâtre désuètes des opéras truculents.
Chaleureuse rougissante des plaisirs à manger et à boire.
amoureuse éternelle a folâtrer à flirter susurrer écouter les mots doux de ses chevaliers romantiques et errants.
Ma si vieille amie que je n'ai pas accompagnée au cimetière.

Pendue

Pendue. 
Comme pendue avec une corde. 
La maison de la pendue.
Brulée les cendres enfermées dans un pot métallique comme un moule à pudding.
 
Enterrée. 
L'urne toute petite posée dans un coin de caveau.

Mon amie au cimetière. 

En Flandre.


La voisine
Voilà elle est partie. Hier elle était là. Le bruit de la tél é à fond toute la journée passait à travers les murs comme d'hab.
Aujourd'hui pas un bruit un silence idiot d'abandon. 
Ses enfants font des allers retours remplissent des voitures des poubelles des containers.
voilà elle n'est plus là.

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Oubliez je le veux

Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez .
Que les moules sont jetées vivantes dans le c ourt bouillon. 
Les homards et les écrevisses aussi. Que le cabillaud est en voie de disparition.
Que tout le monde se fait niquer par quelques gros cons. 
Que ça fait deux ans que Zoulou est parti en fumée. 
Des siècles que ma meilleure amie ma mère et quelques potes oncles tantes cousins germains inconnus ont terminé leur vie d'ici 
en nous plantant là du jour au lendemain.
Que j'étais comme cul et chemise avec un tas de mecs dont j'ai perdu jusqu'au souvenir. 
Que l'oiseau Dodo a existé. 
Que des peuples entiers ont disparus sans laisser de traces. 
Que des gosses meurent de faim de peur de chagrin.
Que des familles entières sont sur les routes poussées par la guerre. 
Que la terre en a ras le bol de notre bête tronche et qu'un jour prochain si on n'arrête pas de martyriser tout le monde elle nous jettera dehors.
Ce serait peut être judicieux de ne pas l'oublier.
Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez Oubliez