09/09/2013

MEXICO 2008


Une pièce carrée d'1m50 en front de rue. 

Un miroir sur tout le mur du fond
en face la vitrine et la porte vitrée. 

Au milieu de la pièce un client assis sur un siège de coiffeur à armature de métal 
et garniture de cuir noir lit une bd de sexe. 
Un jeune mec en chemise blanche et pantalon sombre lui rase la nuque.



Au coin de la rue assis sur une haute chaise à armature métallique 
et garniture de cuir noir le cireur de chaussures attend le client
tourne les pages d'un calendrier porno.



A San Angel les très belles maisons des riches proches du périphérique sont à vendre. 

Un étage de plus au périph et l'air est devenu irrespirable.
 
Les murs hérissés de barbelés semés de tessons de bouteilles
cachent de magnifiques jardins. 
Une guérite à chaque bout de rue abrite un gardien.


Sur le pont piétonnier qui traverse le boulevard on vit dans la science fiction. 
les oreilles bourdonnent les yeux brûlent. 

Les klaxons les sirènes d'ambulances de flics. 
Le flux lent et continu de camions énormes sans pot d'échappement
de taxis de bus de péséros de voitures coule toute la journée 
et une bonne partie de la nuit devant l'immeuble de Télévisa.



Un nouvel étage sur le périphérique donne l'impression de flotter
au dessus de la ville de planer d'une bannière mexicaine géante à l'autre.
Dessous les maisons sont restées  
asphyxiées étourdies dans l'air pollué des embouteillages perpétuels.
Les linges sèchent toujours sur les toits.

Depuis trois jours les amoureux s'embrassent à pleine bouche. 
Dans le métro sur la rue dans les marchés dans les parcs dans les taxis les bus.

Des cœurs géants ou minuscules en ballons en gâteaux en cadeaux en bonbons en sucettes inondent chaque tianguis chaque épicerie. 

Même les boucheries et les magas de chaussures ont leur petit ballon d'amour.

Des pluies d'orage. Tout le monde se presse se couvre de sacs poubelle se réfugie dans le métro.

Les tianguis étendent des bâches et créent des couloirs au sec.

La ville sent: les arbres la terre la fraîcheur dans les parcs.
Mais aussi l'urine la merde diluée les égouts les poubelles partout ailleurs.



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Flor se lève à 5h saute dans le métro arrive à son travail de femme de ménage à 6h. 
Son bébé Giovani tête son biberon et s'endort bercé par le voyage dans le reboso.

L'homme des poubelles agite une clochette dans la rue vers 8h. 
Flor lave chaque jour la maison du haut en bas à grandes eaux.
Les patios la cuisine la salle à manger le salon les huit chambres et les quatre salles de bain.
Le lundi elle fait les courses pour la semaine au marché et à la Sumesa. 
Elle note les dépenses dans un grand livre et décide les menus qu'elle cuisinera. 

les lessives et le repassage. 

Giovani doit être sage et dormir beaucoup attaché dans sa poussette pour éviter de tomber.

Aujourd'hui en route vers la Sumesa Flor a vu les flics encercler un voleur 
au coin de la rue Bajio à côté de la maison. 
Ça la fait flipper l'idée que des voleurs trainent dans le coin.
Heureusement en face un gardien surveille la rue pour le compte de la petite clinique.

A 19h son Giovanni sous le bras elle rentre chez elle en métro.
A la même heure une vague un mur humain coule par les escaliers mécaniques.
Des milliers de milliers de travailleurs silencieux et pressés
s'engouffrent dans les couloirs et s'entassent sur les quais.




Trois heure Centro Médico. La rame de métro est bondée.

Une toute petite fille en robe bleue tachée et un peu déchirée dans le bas 
jette de minuscules papiers en l'air. 
Parfois ils tombent dans une main souvent sur le sol. 

"nous sommes de Puebla la région la plus pauvre du Mexique. 
Nous avons faim, donnez nous un peu d'argent sans vous démunir 
et grâce à vous nous mangerons."

Une deuxième petite fille en robe rouge serrée à la taille par un nœud passe 
ramasse les papiers comme pour un jeux.
Une troisième un peu plus âgée empoche parfois une pièce de monnaie.

En silence.



A la sortie du métro une très vieille femme surgit du coin de Anahuac et s'engage sur Baja California. 
L'avenue est vide sans voiture comme un premier jour de l'an. 
Elle tire avec peine un énorme charriot bourré de sacs enveloppés de la bâche rouge des tianguis.



Les couloirs du métro sont gigantesques les escalators monstrueux

les foules compactes et indifférentes. 

Vendredi soir. Un jeune garçon filiforme tout en noir.
Gothique en veste longue et étroite avec une série de petits boutons ronds et un col droit. 
Deux fines fentes s'ouvrent sur ses omoplates. 
Ses cheveux collés en forme d'ailes se détachent perpendiculairement à la nuque. 

Station chilpancingo il sort de son sac un assemblage étrange de métal et enfile un gant à trois doigts articulés et ouvragés en argent ...des griffes ou des pattes d'insecte?
Une main sortie d'une BD à la Marilyn Manson.



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Samedi au coin de Bajio le marchand de fruit épluche les mangues les découpe en dentelle 
les empale sur une pique et les saupoudre de chili.

Le soir à la boucherie les aides nettoient à grandes eaux la salle de découpe le magasin et les frigos. 
Des pains de glace fondent dans le caniveau et une eau rouge stagne sur l'asphalte jusqu'au dimanche.

De toutes les couleurs de contes de fées.
 
Vaporeuses et légères en voile ou en organdi sur des jupons de tulle. 

Cachées sous des vestes brodées de fleurs et de perles.

Les robes de mariées font rêver dans les vitrines.

Dix magasins les vendent dans la même rue.

les bouquets les couronnes les jarretières les escarpins et les pantoufles de vair.



Pas loin du centre des Porsches de toutes les couleurs exposées dans une vitrine. 
Les voitures de plus de dix ans ne circulent pas au DF le lundi.
les chauffeurs à la sortie des écoles attendent les gamins dans des
 bagnoles rutilantes 

énormes aux vitres noires et réfléchissantes.

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A chaque coin de rue, devant chaque entreprise un vendeur de tacos. 


Dans chaque magasin un distributeur de refrescos. 

De la bouffe partout tout le temps nuit et jour.


Des tortillas frites dans l'huile ou cuites sur une plaque en quesadillas en tacos 
en gordas de patates de frijoles de poulet de champignons de viande de veau de porc ou de boeuf.

Jumiles chapulines chicharon pancita. 
Avec riqueson et crème sûre sauce rouge (chile guagillo ail) 
ou sauce verte (tomates verdes con chile serano ajo).

Tostadas de poulet tomates fromage laitue. 
Posole de porc. Guarache de frijoles.
 

Tamales. Jicama rapée. Caldo de veau. 

Atole de elote de riz de riz au lait.


Refrescos Coca Jarrito Fanta Esquirt Sevenup Manzana Yoli.

Eaux de citron jamaica orchata ananas orange pastèque melon papaye pamplemousse mandarine.

Bonbons rocaletas chicle paleta takataka.
Pâte de fruit de tamarindo de fresa de pina de limon de sandia de mandarina de coca. 

Chamoy de tamarindo.
Gâteau de 3 leches de chocolat de vanille d'orange de mandarine.
Salade de fruits saupoudré de chile. 
Et les Pinguinos et Gansitos.

L'édition spéciale de Lucas Gusano Cristal un liquide 

dans une bouteille plastique transparente à soufflets. 
Un bouchon qui s'enlève et un mini tube noir pour aspirer.

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Sous forme d'interview
Vous n'étiez pas retournée a Mexico depuis 1995. 
Avez vous trouvé la ville changée?



A l'arrivée l'odeur particulière de Mexico nous a donné un choc.
Un mélange d'essence et de maïs de pot d'échappement et de tortilla.

Des immeubles géants ont poussés autour de la maison de Victor et volé la lumière et le soleil. 

La Condesa est à la mode.
Xavier a ouvert un resto au dessus du Condé.


Betty a acheté un divan et changé l'armoire de place dans le salon. 
Elle a ajouté une aile à l'imprimerie pour placer une énorme nouvelle machine.

Les garçons passent le bac cette année au lycée français. 

Ils hésitent à partir à la fac de Montpellier comme leur sœur ou entrer à la UNAM.

Oli étudie au Collégio Alleman.



Chaque mercredi soir Emilio rejoint un groupe de cyclistes.
A vingt parfois cinquante ils pédalent depuis la Condesa vers le Sud.
A minuit ils boivent une limonade sur le zocalo de Cojoacan et rentrent pour deux heures du mat.



Pedro vit dans une maison entourée de murs à Xochimilco. 

Ses voisins vendent du crack dans la rue. 

Chaque matin il conduit son fils de six ans au collégio Suisso à la colonia Roma. 


A San Angel le périphérique a pris un étage.
La belle maison où habitait Pitchoun est à vendre.


La Chiquita est morte depuis trois ans et la privada est fermée avec une grille. 

Un gardien contrôle les entrées.

L'atelier est devenu une école et Luis habite juste à côté 
dans un condominio 
en béton brut entouré de murs protégés de barbelés et de tessons de bouteilles.


Notre ancienne maison a pris deux étages, le jardin est complètement bétonné, la route est asphaltée.

La Guéra a ré-ouvert sa tienda. 

En face à la place de la casse de voitures de l'ISSTE 
ils ont construit trois HLM bleu.
Le dépôt de la Ruta Cien est devenu un bâtiment gris.


Pablo a terminé de travailler sur "Fraude" le film de son frère. 

Il donne des cours à Télévisa. Son fils va à L'Herminio l'école de Norma et Willy. 

Nathalie transforme des fringues en objet d'art et les vend fort cher aux américains 

à San Pancho dans le magasin que Véro à ouvert dans un des restos d'Amandine.


Un avion passe au dessus de la maison de Betty toutes les minutes.

IL y a un flic en gilet pare balle à chaque carrefour, derrière chaque arbre, devant chaque banque, sur chaque quai de métro.



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Un baroudeur tanné trimbale un sac à dos géant qu'il vide sur le sol pour trouver son passeport.




Un porteur balaise transporte une montagne de bagages luxueux sur une charrette. 

Un grand ado bronzé fait une heure de file l'oreille collée à son téléphone en direct avec la France.

Une armée de "muchachas" traine des mallettes Vuiton tire des poussettes et des landaus pour une grande anglaise blonde et son bébé.


Une vieille américaine chicane rouspète houspille tout le monde distribue des billets à tous les mecs 
en uniforme pour pouvoir passer la première à l'enregistrement.


Les touristes reviennent du Yucatan coiffés de sombreros "Mexicains". 
Le 747 affiche complet. 400 personnes se compressent pendant 9h30. 
L'espace vital est ridicule. 

Un groupe de mecs énormes défoncent les sièges .

Une famille filiforme et géante se recroqueville,ne sait où mettre ses jambes. 
Chiken o Pasta la bouffe pue la soupe en sachet. 

Une télé de 15cm/15 un choix de 30films pour écourter la nuit.

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Dans le bureau de Sandra Granado. 

Un petit divan bleu clair à 2 places un bureau avec une chaise
de chaque côté un lourd écran d'ordi et un gros meuble à tiroirs métalliques.
Punaisée sur un mur une affiche annonce le match de 
"André El Gigante" le lutteur de 2m24cm et de 213 kilos la huitième merveille du monde qui ne fera qu'un combat.

Hors du bureau une fille avec un Canon à gros flash interview un nain en masque bleu et blanc à petites pointes argentées. 

Il s'enduit de gras et pose pour les photos torse nu avec sa cape les bras levés les muscles tendus.

Il faut attendre des heures un permis de filmer le match. L'ambiance est bon enfant. Tout le monde entre et sort du bureau. Sandra accueille d'un "ola niño" un quémandeur moustachu à lunettes d'écailles et cheveux poivre et sel. Une unique petite mèche longue tombe sur le col de son veston à carreaux gris clair étriqué. Il frotte sa chaussure à boucle argentée sur son pantalon noir trop court. 

En attendant Sandra, disparue qui sait où, il utilise le tél du bureau appelle sa femme, Frédérico son socio, l'ami Alfredo.
Plus tard il s'installe à l'ordi et rédige son courrier.



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Cinq cents mecs s'exercent pour devenir flics de combat
sur les parkings devant l'embarcadère secondaire de Xochimilco. 

Ils se battent et tirent au fusil.

Plus loin deux cents autres viennent de recevoir leur nouveau costume de police fédérale. 

On voit encore les plis de l'emballage.
Ils paradent un peu empruntés dans leur nouvelle fonction et attendent 

devant un amoncellement de sacs de bidasses.



Au marché dans la section boucherie près de la sortie un père et son fils. 
Ils pèsent chacun 150kgs et sont assis derrière leur étalage 
en carrelage blanc entre les têtes de cochons et les groins 
la cervelle de veau les pattes et les sabots de taureaux 
les poumons et les couilles de boeuf.



Cinq homme et une femme en costume de la Pemex agitent un foulard rouge 
désignent une pompe remplissent le tank vérifient la pression des pneus 
soulèvent le capot mettent la main sur le moteur retirent la jauge d'huile 
ouvrent le bouchon de l'eau nettoient le pare brise 
encaissent l'argent. 

Et ne vivent que du pourboire.